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A un moment où la méfiance des citoyens envers le politique et les institutions est patente, le retour au premier plan du concept de démocratie participative (un pléonasme assumé ?) ne peut que retenir l’attention dans un monde en perpétuelle évolution, celui de l’éducation. En réalité, l’analyse est très différente selon que l’on évoque le secteur de l’éducation nationale (primaire et secondaire) ou celui de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Rappelons que le monde scolaire s’inscrit d‘abord dans une politique publique définie par l’Etat et déclinée au niveau des académies par les recteurs et les services qui les entourent, dans le respect d’une réglementation nationale qui laisse peu de place à l’autonomie des établissements et à la participation des acteurs, si l’on excepte les évolutions sommes toutes récentes sur le rôle des parents d’élèves dans la vie institutionnelle des lycées et collèges. Toutefois, les apparences peuvent être trompeuses car en réalité, de très nombreuses initiatives ont été développées, y compris à l’école élémentaire, pour favoriser la participation des élèves et des familles. Nous n’en citerons que quelques exemples : l’apprentissage de la citoyenneté démocratique en milieu scolaire, l’organisation de classes collaboratives, le recours aux portfolios de suivi des apprentissages, la démarche projet, des questionnaires réguliers auprès des familles…. Plus récemment, la large consultation par le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse, sur le projet de Service National Universel (SNU) relève d’une démarche de type collaboratif, tout comme l’organisation de la semaine de la démocratie scolaire ou le Parlement des enfants.

D’autres initiatives relèvent de la compétence des collectivités locales et notamment des régions. A titre d’exemple, certains conseils régionaux (comme celui du Nord-Pas-de-Calais) tirent un bilan positif de leur expérience de budget participatif dans les lycées. Depuis cinq ans, de nombreux établissements ont ainsi débattu avec leurs élèves et leurs personnels des projets qui permettraient d’améliorer leur cadre de vie. Après un temps d’appropriation, les proviseurs et les services de la collectivité plébiscitent la démarche, tout en notant qu’il est encore difficile de susciter la parole des jeunes et de la formaliser sur des projets opérationnels.

Mais la question centrale des droits et des limites susceptibles d’être fixés à des enfants ou des élèves en milieu scolaire (dont la plupart sont mineurs) demeure et n’est pas entièrement résolue. Une participation accrue des enfants, si elle risque de se heurter très vite à des réticences de principe, peut néanmoins déboucher sur des formes inédites d’apprentissage de la démocratie grâce aux nouvelles formes de pédagogie qui se développent depuis quelques années dans les écoles.

Dans le monde de l’enseignement supérieur et plus particulièrement celui des universités, la participation des personnels ou des usagers est en principe devenue la règle depuis la loi dite Edgar Faure du 12 novembre 1968. A l’origine de ce changement radical inscrit dans la loi, les diverses composantes des communautés universitaires (on évoquait alors les collèges médiévaux, où étudiants et professeurs dialoguaient d’égal à égal) avaient exprimé leur souhait d’être associées à la gestion des futurs établissements. Cette revendication s’appuyait sur l’idée gaulliste de participation des ouvriers et cadres à la gestion des entreprises et sur le concept d’autogestion développé par le PSU de Michel Rocard.

Cette participation alors inédite s’est traduite par l’élection de représentants des personnels (enseignants- chercheurs-administratifs) et surtout d’étudiants dans les nouvelles instances de l’université (conseil d’administration/conseil scientifique notamment) ; mais aussi par une implication croissante dans la gestion administrative des établissements, l’élaboration des programmes ou les modalités de contrôle des connaissances des étudiants.

La participation au sein de la communauté universitaire a été ensuite renforcée et complétée au fil des réformes successives jusqu’à être synthétisée en forme législative, inscrite au rang des principes généraux de l’éducation (lois de janvier 1984 et de juillet 1989).

Qu’en est-il aujourd’hui de cette exigence de démocratie et d’implication des « usagers » dans la vie des institutions d’enseignement supérieur ?

Si le principe de la participation institutionnelle telle que définie ci-dessus ne saurait être remis en cause, il ne correspond manifestement plus aux injonctions de transparence et de « démocratie participative » d’un monde en pleine mutation, largement dominé par la loi des réseaux sociaux et par la différenciation croissante des modèles de développement des organisations universitaires.

A cet égard, de nombreuses questions mériteraient d’être évoquées ; on se contentera ici d’approfondir l’une d’entre elles : celle d’une plus grande association des étudiants des universités françaises [1] à la vie de leur établissement et de leur campus, sachant qu’ils se comportent le plus souvent en « consommateur d‘études » et ne se reconnaissent pas vraiment dans une identité collective, comme c’est le cas dans les pays anglo-saxons ? comment favoriser leur engagement et le reconnaître ? Au croisement de ces deux notions, le constat n’est pas brillant si l’on se réfère au taux de participation aux élections étudiantes (10% en moyenne) et au nombre marginal d’espaces de dialogue et de co-construction en dehors des instances électives. Pour réagir face à cette situation, certaines universités ont lancé récemment via des plateformes des démarches de consultation ambitieuses auprès de leur communauté, pour lui permettre de participer à la construction de nouvelles solutions ; ambitieuses car dépassant le seul périmètre de la gestion ou de la pédagogie pour aller sur le terrain de la stratégie et de l’évolution de la politique d’établissement en termes de développement durable ou d’internationalisation par exemple.

Réussir à entretenir une dynamique participative est aujourd’hui l’un des principaux défis des universités désireuses de faire évoluer leur mode de décision vers plus de transparence et d’inclusion. Si les démarches et outils collaboratifs sont destinés à endiguer les phénomènes puissants de défiance et de démobilisation qui touchent les institutions, ils ne produisent des bénéfices pérennes, (efficacité/ adhésion/mobilisation/ confiance) qu’à deux conditions : un engagement sur la durée et en profondeur.

La réflexion pourrait bien sûr se prolonger au-delà du seul niveau des établissements : le ministère de l’enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation (MESRI), a ainsi invité les acteurs à se mobiliser sur des objectifs stratégiques de moyen et long termes, par exemple au moment de l’élaboration de la STRANES [2] en 2014 ou des Plans de vie étudiante, et plus récemment, de la préparation de la LPPR (loi de programmation pluriannuelle de la recherche).

Comment et sur quels critères aller plus loin pour permettre au citoyen, à l’enseignant, à l’étudiant, à l’écolier…, d’être actif et responsable, d’être associé au débat et aux prises de décision dans le secteur éducatif ? Les niveaux de participation possibles sont nombreux : l’information (cf. les débats autour de la nouvelle plateforme d’orientation des lycéens PARCOURSUP), la consultation, la co-construction, et enfin la participation au pouvoir de décision. Il semble que la piste de l’expérimentation de nouvelles formes d’association des acteurs soit à cet égard prometteuse et qu’elle gagnerait à être étayée par des recherches scientifiques, notamment en termes d’efficacité et d’adaptation à une démocratie numérique qui se construit à grande vitesse.

Enfin, et même s’il serait bien sûr prématuré et présomptueux d’en tirer la moindre leçon à ce stade, il est certain que la manière dont le monde scolaire et universitaire a subi, géré et réagi à la pandémie de CODIV19 qui frappe une grande partie des pays de la planète, devra être interrogée et analysée. De façon générale, cette crise sanitaire d’une ampleur exceptionnelle, tout au moins dans son retentissement planétaire, met la démocratie à rude épreuve, et singulièrement, notre démocratie représentative. En matière d’éducation, elle met au sens strict de la distance dans tous les processus de concertation, d’élection et d’évaluation. Comment pourrait-il en être autrement, l’urgence justifiant pleinement que l’on privilégie la sécurité et la santé des individus et qu’on leur « impose » des mesures destinées à assurer une continuité pédagogique jusqu’au Jour d’après…. De fait, les contraintes de gestion de crise ont – provisoirement – relégué au second plan l’objectif d’une participation accrue des acteurs du système éducatif.

La question se pose d’ores et déjà des conséquences à moyen terme des différentes mesures prises dans un contexte de crise hors norme. Que constate-t-on après une interruption totale des cours en présentiel de plusieurs semaines: en matière scolaire tout d’abord, sous le pilotage directif et top down du ministère de l’éducation nationale, et malgré les failles et les dysfonctionnements inévitables, la machine réputée si lourde, a été mobilisée avec succès et a su répondre dans des délais très contraints à la nécessité de mettre en place des cours à distance et un suivi des élèves à tous les niveaux d’enseignement (mobilisation sans précédent du CNED, foisonnement des nouvelles plateformes pédagogiques, évolution des modalités d’examen vers une généralisation du contrôle continu, adaptation des calendriers…).

L’Etat régalien, dans son rôle protecteur et garant de la santé des élèves et des personnels mais aussi de la continuité pédagogique a joué pleinement son rôle. Mais ce succès n’a été rendu possible que grâce à la mobilisation immédiate des acteurs eux-mêmes et des innombrables initiatives prises pour adapter les directives nationales aux spécificités locales.

C’est encore plus vrai dans l’enseignement supérieur, où la bascule vers une distanciation généralisée, plus aisée à mettre en œuvre, est même prolongée jusqu’à la rentrée ; la mobilisation intense des équipes de recherche universitaires sur le traitement du virus donnent lieu à de multiples appels à projets et à la levée de financements, y compris en partenariat avec d’autres pays européens. D’une façon générale, on note la capacité du système à gérer une demande exponentielle de dialogue dématérialisé via les nombreux outils de visio-conférences et le développement du télétravail, voire des procédures de recrutement de personnels enseignants à distance…..

De telles évolutions vers des pratiques maintes fois mises en avant pour renouveler le management des organisations publiques s’imposent désormais dans l’éducation sous la pression des évènements. Il est bien trop tôt pour évaluer l’impact de ces nouveaux modes d’intervention, certes plus agiles, mais développés souvent sans concertation avec les intéressés, et pour vérifier s’ils s’accompagnent ou non d’un déficit démocratique qu’il conviendra de résorber. Mais cette crise pourrait bien être aussi une réelle opportunité de renouveler l’expérience démocratique au sein du monde de l’éducation et de reconnaître davantage la responsabilité de l’ensemble des acteurs aujourd’hui fortement mobilisés dans la construction de réponses efficaces et pertinentes à la sortie de crise qui va tous nous mobiliser dans les prochains mois.


[1] Il convient de rappeler ici que les sujets de vie étudiante ont été pris en compte depuis longtemps par les écoles de commerce ou d’ingénieur avec une attention qui a permis le développement de véritables politiques ciblées associant les étudiants sous des formes diverses à la vie, au fonctionnement et à l’évolution de leur établissement. Les universités se sont plus tardivement positionnées sur ces sujets, étant rappelé qu’elles ne sont pas seules à intervenir dans le secteur de la vie étudiante, puisque le Réseau des œuvres scolaires et universitaires (Cnous et Crous) agit sur l’ensemble du territoire en matière de bourses, de logement ou encore de restauration étudiante.

[2] Stratégie nationale de l’enseignement supérieur