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Paru dansLe Figaro du 6 juillet 2020 - Article de Yves Thréard.

REBOND Cette femme d'influence de 34 ans, proche de Jean-Pierre Raffarin, veut donner un nouvel horizon à son pays.

Son deuxième prénom est Sahar. En arabe, il signifie l'aube, et il lui va comme un gant. Car cette femme de 34 ans porte en elle une grande ambition elle veut sortir son pays de la nuit. La Tunisie qui lui a donné le jour, mais qui, depuis des années, se cherche un avenir. Elle se bat pour lui offrir des lendemains qui chantent. Elle interpelle les grands de ce monde, voyage sur tous les continents. Donia Kaouach n'a pas froid aux yeux. Rien ni personne ne l'arrête. Son pouvoir de séduction et sa force de persuasion sont immenses. C'est ainsi qu'elle a tapé dans l'oeil de Jean-Pierre Raffarin.

Dans les années 2000, Jacques Chirac, qui estimait que la droite ne comptait pas assez de jeunes femmes dans ses rangs, avait demandé à son ancien premier ministre de jouer les « rabatteurs ». Un jour, ll a ramené Donia Kaouach dans ses filets, devinant un « gros potentiel » chez cette banquière spécialisée dans les fusions-acquisitions, passée par des études de droit et de finances. Depuis, Jacques Chirac a quitté la scène, la droite est déboussolée, mais le politicien madré et sa protégée font toujours cause commune dans la fondation qu'il a créée et préside, Leaders pour la paix. Il lui en a même confié la direction générale. Là, elle est comme un poisson dans l'eau, entourée d'un board où siègent quelques noms d'envergure Ban Ki-moon, ancien secrétaire général des Nations unies, Antony Blinken, conseiller aux affaires étrangères de Joe Biden, Enrico Letta et Romano Prodi, ex-premiers ministres italiens, Pierre Vimont, ancien ambassadeur de France...

« C'est une pépite », confie Jean-Pierre Raffarin, admiratif de son sens de l'organisation. Mais pas seulement : « Elle maîtrise parfaitement les sujets que ma Fondation aborde, quel que soit le continent concerné ; elle a du fond et des idées précises, elle travaille beaucoup. » Par visioconférence, coronavirus oblige, elle a animé, fin juin, une table ronde sur les jeunes en Afrique, en présence de plusieurs décideurs du continent. Récemment, elle a dialogué des heures durant avec Antonio Guterres, le patron de l'ONU. Pourrait-elle embrasser avec succès une carrière politique ? « Ce n'est pas impossible », répond son mentor. « Il n'est pas certain que la Tunisie puisse lui offrir ce qu'elle veut », tempère Olivier Poivre d'Arvor, l'actuel ambassadeur de France en Tunisie, qui salue le caractère déterminé de la jeune femme. « Elle porte le message de la Tunisie dans le monde, mais est-ce celui que son pays veut aujourd'hui envoyer ? Je lui vois peut -être plus d'avenir en France. »

La Tunisie, c'est pourtant son affaire, l'amour de sa vie. « Elle en sera un jour la présidente », prédit l'une de ses amies, attachée parlementaire en France, conquise par son magnétisme. Donia Kaouach se dit bourguibiste et bourguibienne. Habib Bourguiba, le père fondateur du pays, l'émancipateur, l'homme qui aimait les femmes. « La Tunisie, raconte-t-elle, c'est une histoire de femmes. Au nez et à la barbe de tout le monde arabo-musulman, ce raïs flamboyant, cultivé et courageux s'est distingué, dès la fin des années 1950, en les considérant à l'égal de l'homme et en leur donnant des droits identiques, grâce à un code de la famille d'une exceptionnelle modernité. Grâce à lui, les femmes jouent un rôle essentiel dans l'éco-nomie nationale, elles produisent 70 % du PIB. Qui sait qu'aujourd'hui que 50 % des magistrats et 60 % des médecins sont des femmes en Tunisie ? »

Incarnation d'un syncrétisme réussi de différentes cultures

Malheureusement, depuis Bourguiba, le pays a dérivé. D'abord avec Ben AH, qui « a tué la classe politique ». Après la révolution de 2011, à laquelle Donia Kaouach a activement participé, Caïd Essebsi « a un temps évité le pire », reconnait-elle. Puis est arrivé le président actuel, Kals Saled, l'année dernière. Un maitre assistant en droit constitutionnel à l'université de Tunis, que personne ne voyait là. Un conservateur sans être un Intégriste revendiqué. La Jeune femme observe avec attention le début de son mandat « Il est venu à Paris le 22 juin. Il s'est exprimé dans les jardins de l'Élysée en arabe avant le dîner offert par Emmanuel Macron. Certes, il choisit la langue qu'il veut. Sous l'influence des islamistes, le monde arabe est en train de se refermer sur lui-même, de se marginaliser de la marche de la planète. Cela a d'ailleurs commencé avec Nasser en Égypte, qui est allé trop loin dans son réve panarabique. Nasser a ouvert la voie au désordre actuel. »

Elle a dévoré le dernier livre d'Amin Maalouf, Le Naufrage des civilisations. L'écrivain d'origine libanaise, membre de l'Académie française, y décortique avec style et brio le délitement de cet « Orient compliqué » comme l'appelait de Gaulle. Donia Kaouach, incarnation d'un syncrétisme réussi des cultures occidentale et orientale, musulmane respectant le ramadan, se défend d'être pour autant nostalgique de l'ère Bourguiba. L'histoire ne se répète pas. Elle voit dans la jeunesse et les femmes de son pays le ferment possible d'un renouveau. Elle a fondé, en 2016, Tunisiennes fières, un cercle de réflexion qui réunit des artistes, intellectuelles, avocates et entrepreneures. Mais aussi des commerçantes, des paysannes et des femmes dans le besoin auxquelles sont données aide et visibilité. « L'action de ce mouvement est très précieuse dans le contexte actuel », témoigne Alya Hatnza, grande signature du quotidien La Presse. Les médias s'en font régulièrement l'écho. « Je veux qu'il fonctionne comme un contre-pouvoir », assure sa fondatrice. Donc comme un parti, pour être plus clair sur les intentions de Donia Kaouach. Chaque année, ce cercle remet un prix à un projet innovant, en partenariat avec Isabelle d'Ornano, la présidente du groupe Sisley.

La trentenaire prépare maintenant un livre, porteur d'un message politique. Celui-ci sera-t-il entendu, chez elle et ailleurs dans le monde ? « Au chef, il faut des hommes et aux hommes, un chef », dit un proverbe africain. Ce chef pourrait-il, un jour, en Tunisie, avoir le visage d'une femme, celui de Donia Kaouach ?

 

FDS et les femmes tunisiennes      Lire l'article sur lefigaro.fr